L’IA touche à tout. Le bloc opératoire n’y échappe pas. Il est même devenu un terrain d’innovations technologiques sans précédent. Après les robots d’assistance chirurgicale, les casques de réalité augmentée, les jumeaux numériques, place désormais à l’intelligence artificielle, parée de mille vertus. L’analyse comportementale n’est pas la plus médiatisée, elle est pourtant essentielle pour assurer la bonne coordination des intervenants.

De plus en plus, les algorithmes d’intelligence artificielle sont appelés à la rescousse pour seconder techniquement les chirurgiens. Mais, selon Antoine Tesnière, directeur général de PariSanté Campus, le premier impact de l’IA au bloc opératoire ne sera pas technique. Elle devrait avant tout permettre de mieux en organiser les pratiques et d’y optimiser le temps et la qualité de travail. "C’est essentiel d’objectiver ces points de fonctionnement pour les améliorer dans une logique d’équipe", a-t-il soutenu durant le colloque sur la chirurgie 4.0, organisé les 7 et 8 décembre 2023 à Paris par l’Académie nationale de chirurgie. Pour le professeur Éric Vibert, chirurgien spécialiste du foie et père du projet de bloc opératoire augmenté (Bopa) qui mise sur l’augmentation des capacités du chirurgien grâce à l’assistance de technologies émergentes comme la réalité augmentée, la robotique et l’IA, "[les chirurgiens ont] les moyens théoriques de faire une médecine personnalisée de très grande qualité, mais [n’ont] probablement plus les capacités cognitives pour le faire correctement car la médecine est devenue une activité trop complexe qui évolue constamment avec de plus en plus de traitements disponibles." Mieux comprendre ce qui se passe durant une intervention chirurgicale pour en réduire les risques est aussi devenu l’une des préoccupations de l’auteur du Droit à l’erreur, devoir de transparence.

Des capteurs au bloc pour comprendre les processus de décision

Un acte chirurgical implique toute une équipe, du chirurgien à l’anesthésiste en passant par les infirmiers anesthésistes et ceux du bloc opératoire. À chacun sa place et son rôle. Des processus existent pour que tous puissent communiquer et disposer des bonnes informations au bon moment. Analyser les nombreuses données – voix, positions et réactions physiologiques des intervenants – doit permettre de décrypter leurs interactions pendant une opération. Arnaud Allemang-Trivalle, doctorant en sciences de l’ingénieur à l’IMT Atlantique et au Max Planck Institute for Intelligent Systems, en Allemagne, en a fait son sujet de thèse. Il est venu en témoigner lors des journées d’études intitulées Les coulisses de l’activité opératoire et Regards croisés sur les transformations de la chirurgie, organisées par la Chaire de philosophie à l’hôpital au sein du GHU-Paris, Psychiatrie et Neurosciences le 23 novembre 2023. "Ensemble, [les membres de l’équipe] arrivent à avoir une conscience de la situation globale de ce qui se déroule au bloc pour projeter ce qui va s’y passer", analyse-t-il. Mais, le stress, la charge mentale ou encore des problèmes de collaboration peuvent gripper un scénario et générer des erreurs médicales, et des événements indésirables. Pour identifier les mécanismes y conduisant, le doctorant exploite les données fournies par différents capteurs : microphones, t-shirts physiologiques, balises, transmetteurs audio, routeurs wifi… C’est par l’étude des réactions individuelles à l’aide d’algorithmes qu’il deviendra possible d’améliorer les résultats collectifs au sein des blocs opératoires encore trop souvent considérées comme des "boîtes noires". Dit autrement, les algorithmes devraient aider à travailler en meilleure intelligence

Pierre Derrouch