Dans son baromètre RSE basé sur les rapports extra-financiers de 255 entreprises européennes, Forvis Mazars constate que peu d'entre elles ont pris les devants en publiant un rapport de durabilité ou une analyse de double matérialité conformes aux nouvelles normes ESRS.

À l’aube de la date de publication des premiers états de durabilité par les entreprises cotées de plus de 500 salariés, Forvis Mazars livre son baromètre de la RSE : 255 entreprises européennes, dont 119 françaises, c’est le panel qui a servi aux enquêteurs de Forvis Mazars pour mesurer l’entrain des acteurs soumis à la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) pour établir leurs rapports extra-financiers. Parmi ces entreprises, de nombreuses enseignes bien connues (Adidas, Airbus, TFI, RWE, L’Oréal, Thalès, Danone, Campari, Bolloré…). “Le constat est sans appel”, d’après Edwige Rey, associée, responsable RSE & développement durable chez Forvis : à l’époque de la transposition par la France de la Non Financial Reporting Directive, les entreprises hexagonales avaient été plus nombreuses à anticiper le passage à la déclaration de performance extra-financière (DPEF) qu’elles ne le font aujourd’hui avec la CRSD.

Plus de 500 questions

Parmi elles, une large majorité aurait choisi de ne pas publier de rapport de durabilité ou de plan de transition répondant aux normes ESRS – les normes que les entreprises doivent suivre pour le reporting des informations relatives à leurs impacts environnementaux, sociaux, et leurs pratiques de gouvernance (critères ESG). “Ces résultats montrent que le défi à surmonter demeure élevé pour satisfaire les exigences des nouvelles normes européennes”, Edwige Rey, associée, responsable RSE & développement durable chez Forvis. Bien que les entreprises se soient davantage dévoilées cette année, notamment à travers leur DMA, elles sont peu à avoir anticipé les exigences normatives relatives au rapport de durabilité tel qu’il sera publié pour l’exercice 2024.” Beaucoup d’interrogations demeurent chez les acteurs économiques à l’approche de l’application de la directive : L’Efrag, le groupe consultatif européen sur l’information financière qui élabore les normes d’informations extra-financière, aurait reçu plus 500 questions depuis octobre dernier.

Note positive du baromètre : 58 % des quelques entreprises du panel qui ont procédé à une analyse de double matérialité pour hiérarchiser leurs enjeux RSE – soit un quart des 255 – ont réalisé l’exercice “conformément aux attendus des normes”. Parmi ces bons élèves, 91 % attestent avoir consulté leurs parties prenantes pour établir leur double matérialité. Et les trois quarts disent avoir utilisé des outils pour évaluer la diligence raisonnable de leurs structures en matière des droits de l’homme. Principe directeur des Nations unies relatif aux entreprises au droit de l’homme, la diligence raisonnable oblige les sociétés à prendre toutes les mesures nécessaires, adéquates et efficaces pour identifier et évaluer ses impacts négatifs réels et potentiels sur les droits de l’homme tout au long de sa chaîne de valeur. Elles sont tenues de prévenir, atténuer ou faire cesser ces impacts, de contrôler l’efficacité de ses mesures et de rendre des comptes au public.

“La notion de matérialité d’impact reflète pleinement ce que doit être la RSE”

Le groupe Rubis, interrogé par le cabinet d’audit, a lancé ses travaux d’analyse de double matérialité en mai 2023. Toutes ses activités ont été scrutées : “En amont, nous sommes allés jusqu’à l’extraction des matières premières ; en aval, jusqu’à la fin de vie de produit”, explique Sophie Pierson. La directrice RSE et conformité de Rubis explique qu’à la différence de l’exercice de matérialité simple effectué dans le cadre de la DPEF, celui imposé par la CSRD porte sur la notion de matérialité d’impact c’est-à-dire sur l’impact de l’entreprise sur son environnement externe. “Une notion qui reflète pleinement ce que doit être la RSE.”

Parmi les difficultés de Rubis, cette entreprise de taille intermédiaire installée en Europe et ailleurs, l’autonomie des filiales qui complique la consolidation des données attendues dans le cadre de la CSRD et l’aspect culturel. La CSRD est un sujet européen que leurs partenaires étrangers peuvent avoir du mal à appréhender. Selon le rapport de Forvis Mazars, la conformité est gourmande en moyens, humains notamment. Toutes les directions de l’entreprise mettent la main à l’ouvrage, direction RSE, direction financière, direction juridique, direction des ressources humaines, direction de la conformité, des risques, du contrôle interne, directions opérationnelles. “Chacune a un rôle à jouer que ce soit dans la production des informations attendues ou dans l’atteinte des objectifs fixés”.

Chez Pizzorno, industriel français du déchet, ce sont plus de 80 acteurs qui ont été mobilisés pour réaliser le plan de transition. Cette société dracenoise de plus de 2 000 salariés compte parmi les 13 % des entreprises du panel qui ont rendu une copie. Après avoir travaillé à son plan, elle a pris la résolution de porter à 70 % de son parc automobile, le nombre de véhicules à faibles et à très faibles émissions à horizon 2030. L’entreprise a identifié d’autres objectifs : la réduction de sa consommation de carburant avec le déploiement d’une démarche d’éco conduite et l’augmentation du captage du biogaz sur l’installation de stockage de déchets non dangereux de l’Ecopôle d’Azur Valorisation. Pour ses émissions indirectes, elle projette de suivre une politique d’achat durable.

Si certaines sociétés voient dans ces nouvelles réglementations l’occasion de faire peau neuve avec une redéfinition de leur mode de production, d’autres voient d’un mauvais œil la publication d’informations stratégiques. Edwige Rey décèle, chez les entreprises qui se sont refusées à publier les documents, de la “frilosité quant à la divulgation de leur stratégie (politique, objectifs et ressources) avant que cela ne soit obligatoire”.

Anne-Laure Blouin

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