Si en matière d’essais cliniques décentralisés, les États-Unis et le Royaume-Uni font figurent de bons élèves, la France marque le pas. En cause, l’adaptation d’une recommandation européenne dans notre droit national qui se fait attendre.
Essentiels pour développer de nouvelles thérapies, évaluer les traitements médicaux ou encore améliorer la prise en charge des patients, les essais cliniques sont classiquement réalisés dans des structures de soins ou des centres de recherche médicale. Dans un contexte de pénurie des ressources médicales, la Commission européenne, l’Agence européenne des médicaments (EMA) et le réseau européen des agences sanitaires (HMA, pour Heads of medicine agencies) ont publié le 13 décembre 2022 des recommandations donnant la possibilité de réaliser des essais décentralisés au sein de l’Union européenne.
Des patients demandeurs
Cette disposition répond également à une attente forte des patients. Ce dont témoigne le livre blanc d’octobre 2022 du groupe de travail sur les essais cliniques de l’AFCROs1: 65% des individus ayant participé à un essai clinique déclarent qu'ils auraient préféré qu’une partie du protocole de recherche – notamment les prises de sang – se déroule à domicile plutôt que dans le centre gérant l’essai. Autre enseignement : 70% des patients inclus dans un essai clinique résident à plus de 2 heures d’un centre de recherche hospitalier. Avec les essais cliniques décentralisés, "ce n’est plus le patient qui va à la recherche clinique, mais celle-ci qui vient à lui", comme le résume Corinne Kiger, référente essais cliniques de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Même si la décentralisation a été identifiée par le LEEM comme principe majeur de développement de l’activité des essais cliniques en France, mais aussi d’inclusion et de rétention de patients dans des essais, son organisation butte sur une pierre d’achoppement : l’adaptation des recommandations européennes de décembre 2022 aux exigences françaises, notamment de la Cnil.
En attendant la transcription en droit français
"Ce volet est essentiel", souligne Florence Herry, co-fondatrice de Libheros, vice- présidente Santé numérique chez France Biotech et copilote du groupe de travail de l’AFCROs sur les essais cliniques. Étonnamment, ces recommandations ne seraient pas indispensables. "Les essais cliniques décentralisés peuvent être réalisés en France sans réglementation supplémentaire", nous apprend-elle. Malgré tout, certains industriels souhaitant engager de tels essais se montrent frileux. Ils craignent que leur demande ne soit retoquée par l’ANSM puis par l’un des comités de protection des personnes (CPP) chargés d'émettre un avis préalable sur les conditions de validité de toute recherche impliquant la personne humaine. N’est-ce pas contradictoire ? "C’est parce que certaines thématiques sont sujettes à interprétations", poursuit-elle. Par exemple, ces dernières peuvent porter sur la détermination du responsable du prélèvement sanguin fait au domicile plutôt qu’à l’hôpital ou du recueil du consentement quand celui-ci n’est pas effectué au cabinet du médecin. "Bon nombre de directeurs de recherche des big pharma attendent avec impatience l’adaptation du texte européen à la réglementation française pour ne plus avoir à se poser de questions et s’appuyer sur ce texte même s’il ne s’agit que de recommandations", rapporte Florence Herry.
Prévue pour avril 2023, repoussée à septembre puis à la fin de l’année écoulée, cette adaptation était toujours en cours début janvier. Parallèlement, la CNIL a annoncé le 8 janvier 2024 la mise en place d’une phase pilote d’essais cliniques décentralisés pour une période de six mois par le ministère de la Santé. Pilotés par une cellule d’appui composée de la Direction générale de la santé (DGS), de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) ainsi que de la Cnil, les tests devraient prendre fin en juin 2024. Un bilan sera effectué, notamment, sous forme de retour d’expérience.
Pierre Derrouch
1 Association représentant les sociétés qui réalisent des prestations en recherche clinique et épidémiologique pour le compte de l’industrie des produits de santé