L’évolution des technologies de l’information et de la collecte de données a radicalement changé la façon dont les sportifs professionnels se préparent et s’entraînent. Les datas, l’intelligence artificielle et les algorithmes ont ouvert de nouvelles possibilités pour améliorer les performances athlétiques et prévenir les blessures.
Depuis leur introduction, ces avancées technologiques ont été largement adoptées par les équipes et les athlètes de haut niveau dans de nombreuses disciplines sportives. Mais, l’usage des datas dans le sport à des fins statistiques n’est en réalité pas si moderne. Henry Chadwick, journaliste sportif passé du New York Times au New York Clipper en 1857, a mis en place les premiers indicateurs de performances des joueurs de base-ball. Tout s’est accéléré dans les années 2000 avec le développement d’objets connectés permettant l’enregistrement des datas : capteurs de mouvements, montres connectées, vêtements intelligents… Des start-up comme Whoop, Polar, Hudl, Hexoskin, Kinexon ou encore Sportlogiq font partie des acteurs clés de ce domaine. Les données collectées en temps réel peuvent renvoyer à des mesures sur les performances physiques, à des statistiques de matchs, à des données biométriques, et bien d’autres éléments comme la qualité du sommeil ou la récupération…
Place de l’IA dans la performance sportive
Ces informations brutes sont analysées par des programmes informatiques afin de fournir des recommandations personnalisées aux athlètes et à leurs entraîneurs. Grâce à l’IA et aux algorithmes, il est possible de décrypter rapidement et efficacement de grandes quantités de données pour extraire des informations clés et dégager des modèles, des tendances et des prédictions. Dans le cyclisme, par exemple, ces données permettent de déterminer la cadence idéale pour économiser de l’énergie et améliorer la vitesse, ainsi que d’ajuster les programmes de récupération après un effort intense pour minimiser les risques de blessures. Le milieu du football est également friand de datas. L’analyse des matchs est devenue une pratique courante, pour décoder les schémas de jeu des équipes adverses et élaborer des stratégies en conséquence. Les datas sont également utilisées pour suivre les performances individuelles des joueurs, en mesurant des paramètres tels que la distance parcourue, la vitesse et les passes réussies. Il est de moins en moins rare de voir des datas scientists au sein des clubs. Certains font aussi appel à des plateformes d’analyse de données spécialisées dans le sport. Le Toulouse FC, par exemple, utilise la plateforme d’intelligence sportive Zelus analytics.
Des datas à double tranchant
Sans surprise, l’Institut national du sport y a également recours. Entre autres programmes, il a ainsi mis en place Detect (Détection et estimation des champions et des talents) pour accompagner les jeunes athlètes dans leur progression. Le taux de conversion, pour l’ensemble des médaillés français des Jeux olympiques, de la jeunesse vers les Jeux olympiques n’est en effet que de 3,2 %, là où il atteint 11 % en Australie, 7,1 % aux USA et 6,7 % en Grande-Bretagne. Pour l’ancien judoka Fabien Canu, directeur général de l’Insep : "La data fait partie de l’évolution du sport de haut niveau." Mais, attention aux biais. Quand les données sont utilisées, par exemple, pour le recrutement, elles reviennent à faire une sélection qui peut relever de la discrimination. "Cela ne permet pas d’aller chercher des outsiders comme on dit", a fait remarquer Aurélie Jean, spécialiste des algorithmes, lors d’une conférence le 4 octobre 2023 à la Fondation Jean-Jaurès pour présenter le livre Data et sport, la révolution qu’elle a coécrit avec le rugbyman Yannick Nanga. Autre écueil : à vouloir tout classifier, codifier, déterminer à l’aide des datas, le risque est grand de tuer l’essence même du sport. Aurélie Jean et Fabien Canu partagent tous deux le même avis : "La data est un moteur, si elle n’empêche pas le sportif d’écouter ces émotions."
Pierre Derrouch