Fondateur et président du Gérontopôle des Pays de la Loire, Gilles Berrut est également chef du pôle de gérontologie clinique au CHU de Nantes et conseiller stratégique du salon MedInTechs. Son cheval de bataille : favoriser un vieillissement en bonne santé, "visibiliser" les seniors autonomes ainsi que l’économie qu’ils représentent. Rencontre.
Décideurs. Quel est votre état des lieux en matière de vieillissement ?
Gilles Berrut. D’ici une dizaine d’années, plus de 30% de la population française aura plus de 60 ans. C’est une situation inédite. Pourtant, seuls 7% des plus de 60 ans sont dépendants. Chez les plus de 80 ans, nous dénombrons 83% de personnes autonomes. Loin des Ehpad, ces seniors mènent des activités sociales, gardent leurs petits-enfants, font du bénévolat, partent en voyage, voire poursuivent parfois une expérience professionnelle. Cela constitue une chance considérable pour la société. Au quotidien, je me bats contre le cliché du "vieux" atteint d’Alzheimer en maison de retraite, qui est fortement véhiculé par les départements, l’État et souvent les entreprises.
Quelles initiatives pourraient booster la silver economy ?
Pour beaucoup, la silver economy fait écho aux start-up à l’origine de technologies de santé dédiées aux seniors. Mais si la dépendance se chiffre à 24 milliards d’euros, les plus de 60 ans représentent 33 milliards d’euros de services non-salariés rendus à la société. Pour intégrer l’ensemble des secteurs qui la composent, la silver economy doit être redéfinie au-delà de la santé. Selon moi, le vieillissement en bonne santé d’une grande partie de la population reflète une chance de marché. Dans le secteur automobile, on estime que parmi les achats de voitures neuves réalisés par les moins de 35 ans, 50% d’entre elles sont financées directement ou indirectement grâce à l’aide d’un senior. En parallèle, avec 70% des abonnés à des quotidiens nationaux âgés de plus de 60 ans, la presse papier est majoritairement soutenue par les seniors. Dans le même sens, ils sont aussi les plus friands en matière d’abonnements à des événements culturels. Sans oublier que, outre leur forte propension à l’épargne, les seniors affichent le taux de pauvreté le plus bas de toutes les couches de la population.
"Il faut développer ces outils avec les seniors et pas uniquement pour eux"
Quelles sont vos recommandations pour les sociétés qui développent des outils pour les seniors ?
Il faut développer ces outils avec les seniors et pas uniquement pour eux. L’utilité d’un produit incarne son enjeu principal. Selon moi, les quatre points sur lesquels veiller sont la validité, l’acceptabilité, la faisabilité et l’utilisabilité. Au sein du Gérontopôle des Pays de la Loire, nous avons mis en place un lieu de rencontre entre les entreprises fabricantes de solutions et les seniors, potentiels utilisateurs, que l’on nomme Collab’innov. Les usagers peuvent ainsi évaluer les produits en direct.
Enfin, contrairement aux idées reçues, je ne crois pas à la fracture numérique concernant les personnes âgées. Si vous mettez à la disposition d’une dame de 85 ans une tablette pour voir ses petits-enfants, elle saura s’en servir car elle y aura trouvé un intérêt. Seule une petite partie de cette population est désavantagée, qui va s’éteindre dans les dix ans, laissant la place à des seniors geeks.
Comment capter l’intérêt des investisseurs autour des thématiques du vieillissement ?
Après quinze ans au côté d’entreprises actives dans la silver economy, je constate qu’elles ne connaissent pas leur population cible. Ces sociétés développent des outils sans penser à leur usage par les personnes âgées. En raison d’un mauvais accompagnement, ces structures n’ont pas toujours de business plan ni de bases financières et juridiques solides. Pour un investisseur, il est rassurant de savoir le produit testé et validé. Tout le monde pense connaître le marché cible, car nous avons presque tous des grands-parents. Un a priori qui entrave la prise au sérieux de cette population. Lorsque les seniors seront intégrés aux processus de développement, les produits et services à leur intention justifieront d’une meilleure attractivité. Pour plus de cohérence, c’est tout l’écosystème qui est à repenser.
Propos recueillis par Léa Pierre-Joseph