Décideurs. En France, la marque Urgo est associée à vos pansements. Le groupe offre pourtant une panoplie diversifiée de produits médicaux. Pouvez-vous nous décrire l’étendue de vos activités ?
Pierre Moustial. Urgo se définit avant tout comme un groupe de santé à l’actionnariat 100 % familial. Nous sommes structurés autour de deux métiers historiques. Le premier est celui des produits grand public, vendus en pharmacies, magasins diététiques et autres échoppes bio. Parmi nos marques, quatre peuvent se targuer d’avoir un taux de notoriété de plus de 90 % : Mercurochrome, Juvamine, Humex et Urgo. Elles figurent toutes dans le top 10 des marques les plus reconnues du secteur de la santé. La seconde activité historique du groupe est née en 2000 et consiste en la conception, la production et la commercialisation de produits indiqués pour la cicatrisation et la compression. Ces pansements modernes, prescrits par des médecins et remboursés par l’Assurance maladie, traitent des brûlures sévères, comme des ulcères du pied diabétique ou des plaies aigues. Enfin, nous développons un certain nombre de nouvelles activités autour de notre start-up interne UrgoTech. Citons nos lasers pour améliorer les cicatrices en phase post-chirurgicale ou nos dispositifs connectés dans le sommeil, s’appuyant sur les récentes découvertes de la neuroscience.
Comment se répartit votre chiffre d’affaires entre vos pôles d’activité, et comment cela devrait évoluer dans les cinq prochaines années ?
Notre activité se répartit équitablement entre les marques grand public et les pansements ainsi que les bandes de compression à destination du milieu hospitalier. Notre start-up a été lancée en 2015 et la commercialisation de ses produits démarrent actuellement.
Vous faîtes mention sur votre site d’innovations majeures dans le domaine de la cicatrisation avancée, ayant des impacts sur le quotidien de malades chroniques. Comment aidez-vous ces patients à mieux se porter ?
Nous nous sommes attaqués aux plaies chroniques, comme les ulcères veineux de jambe ou les ulcères du pied du diabétique. Ces plaies graves affectent la vie des patients puisqu’elles mettent longtemps à cicatriser et qu’elles sont exposées à des risques d’infection. Chaque année, ce sont près d’un million de patients qui sont amputés à la suite de l’ulcère du pied diabétique. Seulement un tiers d’entre eux survivront dans les cinq années qui suivent. C’est pour cela que nous avons voulu lancer un nouveau paradigme chez Urgo en passant du pansement qui protège au pansement qui guérit, avec un objectif : réduire le temps de cicatrisation. Chaque jour compte pour le patient. Après six années de recherche, avec l’un de nos produits, nous sommes devenus les premiers au monde à avoir cliniquement prouvé que nous pouvions réduire de 60 jours le temps de cicatrisation du pied du diabétique par rapport à un traitement standard.
« Les dispositifs médicaux ont non seulement un impact médical, mais aussi un impact organisationnel et économique sur le système de soins »
Urgo Medical a annoncé en septembre 2018 son implantation aux États-Unis après l’acquisition de SteadMed. Quelles sont vos ambitions sur le marché domestique des plus grandes multinationales de la santé ?
Le marché américain de la cicatrisation est le plus important au monde. La croissance progresse, et cela s’explique notamment par le développement à grande vitesse des maladies chroniques outre-Atlantique. La prévalence du diabète y est forte et en constante évolution. Nous devions donc nous positionner sur ce marché en nous appuyant sur nos expériences réussies en Europe et dans les pays émergents, comme la Chine et le Brésil. Il nous fallait être Américains aux États-Unis pour gagner du temps et lancer nos activités sur un socle solide. L’acquisition apparaissait comme la stratégie la plus pertinente ici. Trouver la bonne cible a requis une certaine patience et, finalement, l’entreprise texane SteadMed répondait à toutes nos attentes. Leur positionnement et leur offre de produits complémentaires aux nôtres nous ont séduits, au même titre que leur belle dynamique sur leur marché national. Puisqu’ils n’interviennent pas sur les mêmes phases de cicatrisation que nos produits, nous avons pu rapidement leur confier nos activités de distribution. Nous avons ainsi fusionné nos activités médicales nord-américaines avec Steadmed et annoncé en septembre la naissance d’Urgo Medical North America, couvrant les États-Unis et le Canada.
Cette installation outre-Atlantique est une étape décisive dans le développement de votre stratégie internationale. Quels ont été vos succès et difficultés dans votre expansion hors de France jusqu’à présent ?
Trois stratégies ont été menées en parallèle pour croître à l’international : la création from scratch, par exemple en Turquie, les partenariats de distribution au Chili et au Moyen-Orient et les acquisitions, comme en Pologne, au Brésil et, donc, aux États-Unis. Le lancement ex nihilo représente l’option la moins onéreuse, mais ses probabilités de réussite sont moindres, car, par définition, cela implique de tout créer à partir de rien. Autre solution, les accords avec des distributeurs facilitent l’implantation et nous permettent d’importer sans mauvaises surprises nos innovations ayant un impact organisationnel pour le système de soins. Chez Urgo Medical, nous sommes, en effet, convaincus que l’amélioration du parcours de soin des patients est un enjeu de santé publique et que l’e-santé peut s’avérer déterminante dans cette transformation. Concernant notre activité grand public, les marques jouent un rôle très important. Nos marques françaises n’ont que peu de notoriété hors de l’Hexagone et il nous a fallu changer notre modèle en achetant des marques locales pour percer : Polfa Lodz en Pologne, ou encore Forz en Colombie. Nous les alimentons ensuite avec nos innovations.
La PME familiale est devenue une ETI ambitieuse. Ce changement d’échelle se fait rare en France. Quelles ont été les clés de ce succès ?
Tout d’abord, nous avons choisi de consolider notre assise européenne avant de nous lancer dans de nouveaux pays. Nos preuves de concepts nous offraient des gages de confiance pour nous exporter. Quand on s’aventure à l’international et que l’on réalise déjà 100 millions de chiffre d’affaires en France, il ne faut pas se laisser effrayer par le choc des premiers pas dans un nouveau pays. Deuxièmement, le groupe Urgo a fait le pari d’offrir beaucoup d’autonomie à des gens très jeunes, en créant des équipes commando avec une mentalité de start-up. Nous les dotons de compétences marketing, financières et commerciales, et elles avaient la responsabilité de trouver les recettes qui nous permettraient d’avoir un développement dans le pays visé. Cela a été possible en partie grâce à notre école de formation en interne, Urgo University : créer les conditions d’une progression rapide de nos salariés nous a permis de bâtir nos succès internationaux en nous appuyant sur certains profils talentueux, repérés en amont. Les trois stratégies d’expansion à l’international (création de filiales, partenariats ou acquisitions) doivent être étudiées en fonction des caractéristiques des marchés visés, pour s’adapter au plus vite. Après des déconvenues, il faut savoir quand s’arrêter et quand réajuster le modèle. Cela peut prendre beaucoup de temps, et la confiance des débuts ne doit pas s’effriter trop vite. L’alignement de la vision des actionnaires et des équipes de direction est indispensable pour mener cette stratégie des petits pas.
Chiffres clés :
595 millions d’euros : le chiffre d’affaires du groupe en 2017
22 : le nombre de pays dans lesquels le groupe est déjà présent
3 200 : le nombre de collaborateurs du groupe Urgo à travers le monde
Trois ans après le lancement de votre start-up interne, UrgoTech, comment fonctionne cette entité et quels sont ses objectifs ?
UrgoTech imagine et développe des dispositifs médicaux inspirés des plus récentes découvertes dans les neurosciences. UrgoNight, un casque d’entraînement cérébral pour permettre à chacun de retrouver le sommeil, a ainsi vu le jour. Il est le fruit de plus de quatre années de recherche. Nous faisons le pari de soigner par la physique, plutôt que par des médicaments pour limiter les risques d’effets secondaires chez les patients. Nous avons créé cette start-up pour sortir de nos champs de compétences « classiques » et développer des innovations de rupture. Ce type d’organisation offre beaucoup d’agilité et de souplesse. Notre casque pour le sommeil sera lancé aux États-Unis en 2019. Après avoir reçu une distinction pour ce produit au CES de Las Vegas, nous pensons bénéficier d’un fort effet de levier sur ce marché.
En tant que président de MedTech in France, quelles sont vos revendications auprès des pouvoirs publics afin de favoriser le développement des dispositifs médicaux innovants dans l’Hexagone ?
Il y a deux sujets majeurs. Il est essentiel de rappeler que les dispositifs médicaux ont non seulement un impact médical, mais aussi organisationnel et économique sur le système de soins. Lorsqu’on développe par exemple une technologie non invasive, on facilite le développement de l’ambulatoire, la réduction des temps de séjour à l’hôpital… La France, terre d’excellence en matière d’ingénieurs et de médecins, favorise l’émergence de véritables pépites dans le domaine des technologies médicales. Dans l’imagerie médicale, la robotique chirurgicale, l’e-santé, la télémédecine, ou encore les technologies optiques, les exemples ne manquent pas ! Ces innovations modifient radicalement la manière dont sont traités les patients mais également l’offre de soins. L’ambition de notre association MedTech in France est de diffuser plus rapidement ces innovations. Le second sujet concerne l’accès aux remboursements, toujours aussi compliqué en France. Lorsque les medtechs françaises préfèrent lancer leur produit en Allemagne plutôt que dans leur propre pays, il y a un problème. L’accélération et la simplification de l’accès au remboursement auraient, au moins, trois effets bénéfiques : le développement d’emplois locaux, l’accès plus rapide aux traitements de pointe et l’indépendance stratégique du pays.
Contrairement à celle des laboratoires pharmaceutiques, la balance commerciale de l’industrie des technologies médicales est déficitaire en France. Comment peut-on l’expliquer ?
En France, nous avons eu la chance d’enfanter des champions pharmaceutiques comme Sanofi qui a réalisé de nombreuses opérations d’envergure de croissance externe. Dans les dispositifs médicaux, nous n’avons pas eu la même réussite pour bâtir un champion mondial, et nous n’avons pas encore connu le même effet d’entraînement. L’éclosion de l’innovation française en la matière est assez récente, alors même que nous avons une recherche à la pointe en chimie, physique, mathématique. Auparavant, ces compétences dans le monde de la recherche n’avaient pas pour objectif l’entreprenariat ou la création de start-up. Ce paradigme tend à évoluer de nos jours et devrait se poursuivre dans les 15 à 20 prochaines années.
Propos recueillis par Thomas Bastin (@ThBastin)