Si nombre de Français ont été pansés par Urgo, peu d’entre eux ont conscience des disruptions que l’entreprise familiale française insuffle à l’offre de soin. Entretien avec Tristan Le Lous, président du groupe Urgo, qui nous en dit plus sur le positionnement du groupe. Et le succès qui en a découlé.
Urgo est passé de ses pansements emblématiques à la cicatrisation au sens large. Comment s’est effectuée cette transition ?
Tristan Le Lous. Cette transition s’est opérée dans les années 2000. Le pansement est perçu comme une commodité du quotidien, mais il n’en est pas moins un dispositif médical de cicatrisation. Nous avons voulu innover à notre échelle – celle d’une entreprise familiale – en proposant des dispositifs médicaux qui changeraient la donne pour les patients. Ce n’était pas gagné. Les produits complexes de cicatrisation occasionnent des processus de recherche lourds, qui demandent que l’on innove et que l’on investisse. Leur élaboration peut prendre entre dix à quinze ans.
En l’occurrence, nos produits visaient à réduire le temps de la cicatrisation ou encore à agir sur des plaies qui jusqu’à présent pouvaient ne jamais cicatriser. Les patients qui développent des ulcères diabétiques sont sujets aux infections. Un cas sur deux conduit à la nécrose d’un membre et donc à l’amputation. Ce qui implique un plus grand risque de mortalité. En guérissant des plaies qui peuvent être fatales, nous sommes passés du pansement qui protège au dispositif qui sauve des vies.
"Nous sommes passés du pansement qui protège au dispositif qui sauve des vies"
Aujourd’hui, nous sommes le troisième fabricant européen dans le domaine de la cicatrisation. Notre marque la plus visible, Urgo Consumer Healthcare, englobe notre production de pansements grand public ainsi que d’autres marques paramédicales telles que Mercurochrome, Humex, Superdiet. A contrario, Urgo Médical, regroupe les dispositifs médicaux de cicatrisation pour des plaies chroniques, qui sont prescrits et remboursés par l’Assurance Maladie.
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Pourriez-vous nous présenter Genesis, votre dernier chantier en matière de cicatrisation?
L’objectif de Genesis est l’élaboration d’une peau artificielle prête à l’emploi. Il s’agirait de pouvoir greffer cette peau à des patients dont le corps a été brûlé au deuxième et troisième degré [ndlr, des brûlures au deuxième degré occasionnent des cloques, celles au troisième degré nécessitent une prise en charge chirurgicale pour éliminer les tissus non viables]. Pour le moment, les patients brûlés sur de grandes surfaces de leur corps sont traités par une série d’autogreffes : on déplace de la peau saine vers la zone lésée pour guider sa bonne cicatrisation. Parce qu’on ne peut pas prélever des surfaces de peau importantes, de nombreuses opérations sont nécessaires. Elles sont très douloureuses pour le patient, qui peut passer des semaines à l’hôpital. Ce qui a pour conséquence des coûts importants tant pour lui que pour le système de santé.
Une peau artificielle remplacerait ce processus. Une fois la brûlure nettoyée, une seule opération suffirait afin d’installer un pan de peau couvrant les zones blessées. Un tel protocole allégerait considérablement la douleur du patient. Avec un suivi adapté, il pourrait effectuer sa convalescence en ambulatoire et quitter l’hôpital bien plus tôt. Outre le service rendu, il s’agit donc d’une innovation qui modifierait le parcours patient et les coûts du système de soin.
Un projet lancé avec 100 millions d’euros et une dream team 100 % française. Pouvez-vous nous en dire plus ?
L’innovation au sein de Genesis opère à un niveau cellulaire. Il faut considérer tant la fabrication de la peau artificielle que sa compatibilité avec le patient. En matière d’expertise médicale, nous travaillons avec l’EFS (Établissement français du sang), le LBTI (Laboratoire de biologie tissulaire et ingénierie), une unité de recherche mixte du CNRS et de l'université Claude Bernard Lyon 1, et le laboratoire I-Stem. Enfin, l’appui de Dassault Système assure qu’une partie de la recherche s’effectue par le biais de modélisations, qui nous permettront d’avancer plus rapidement.
La technicité du projet dépasse notre champ habituel. En septembre, nous inaugurerons un laboratoire spécialisé dans ce domaine à Chenôve, dans l’agglomération de Dijon. Ce choix confirme davantage notre engagement en France et en Bourgogne. "Urgo" est au cœur du mot "Bourgogne", disait mon grand-père. L’ancrage régional qui fait partie de notre histoire suscite l’engagement de nos équipes. À la faveur des 1 300 collaborateurs prévus dans le grand Dijon, nous allons lancer un programme immobilier dans la cité des Ducs cette année.
Un conseil pour les entreprises qui souhaitent bien positionner leur innovation ?
Il faut innover sur trois tableaux : le parcours patient, le service aux soignants et l’impact sur le système de santé. Dans le cas de nos pansements qui assurent le retour veineux, réduire le nombre de bandes requises (de quatre à deux bandes) a permis d’augmenter le confort des patients et les chances d’observance du traitement. Mais aussi de rendre les dispositifs médicaux plus facile d’utilisation pour les soignants. Ces mêmes bandes ont été dotées de témoins qui permettent à l’infirmière de s’assurer de la circulation sanguine du patient.
"Prouver aux organismes payeurs l’efficacité des traitements, à travers des publications scientifiques, des études cliniques d’ampleur, ou encore des modélisations de réduction de coûts"
Enfin, il faut prouver aux organismes payeurs l’efficacité des traitements, à travers des publications scientifiques, des études cliniques d’ampleur, ou encore des modélisations de réduction de coûts. Dans le cas des ulcères diabétiques, l’accélération de la cicatrisation avait été confirmée et saluée par la revue scientifique de médecine de référence The Lancet. Et une étude clinique à l’échelle mondiale avait prouvé que le temps de cicatrisation avait été divisé par deux.
Propos recueillis par Alexandra Bui