Depuis 2021, PariSanté Campus (PSC) rassemble l’écosystème du numérique en santé dont l’Agence de l’innovation en santé (AIS) fait désormais partie. Le professeur Antoine Tesnière et le docteur Lise Alter, respectivement directeurs généraux de PSC et de l’AIS, défendent un système de santé propice à l’innovation foisonnante.
L’Agence de l’innovation en santé pilote le Plan France 2030 destiné au secteur. Quel intérêt l’agence tire-t-elle de son installation dans les locaux de PariSanté Campus ?
Lise Alter. Le plan Innovation Santé 2030, volet santé de France 2030, intègre différents axes stratégiques. Parmi les actions concrètes : l’accélération de la production de biomédicaments, le travail sur les maladies infectieuses émergentes ainsi que sur le numérique en santé et les dispositifs médicaux (DM) innovants, constituent des clés. Entre autres missions, l’Agence de l’innovation en santé accompagne les porteurs de projets innovants prioritaires, de la recherche à l’accès au marché de leur produit. Une assistance qui s’appuie sur le programme accéléré, récemment mis en place avec les agences sanitaires partenaires telles que l’ANSM et la HAS. Pour les innovations particulièrement disruptives, ce programme intègre un dispositif "hors cadre" pour adapter le cadre réglementaire, financier et organisationnel. Le troisième volet vise à permettre aux innovations de se développer au mieux en France et à l’international. Au vu de ce programme collaboratif, notre installation à PariSanté Campus constitue un atout de taille pour des échanges fructueux. Avec PSC, nous sommes attachés à une logique d’innovation partenariale qui aidera notre système de santé à devenir l’un des plus innovants et compétitifs du monde.
Avez-vous un exemple d’innovation "hors cadre" ?
L. A. Les dispositifs médicaux innovants basés sur l’intelligence artificielle constituent un bon exemple. À l’heure actuelle, aucun cadre ne permet leur évaluation adaptée. De même pour les DM qui relèvent de l’acte médical innovant et ne disposent pas de l’accès précoce. C’est notamment le cas des casques de réalité virtuelle qui se substituent à des traitements antalgiques. Si ces dispositifs ultra-innovants répondent à un besoin, ils nécessitent également un modèle complètement nouveau. Le changement de paradigme se poursuit jusque dans notre système de prise en charge, basé sur le curatif, qui tend à davantage intégrer la prévention.
"Au-delà du programme PSC, l’État démontre sa volonté de réinvestir massivement dans l’innovation en matière de santé"
Pensez-vous que nous soyons à un tournant pour la compétitivité française ?
Antoine Tesnière. Une chose est sûre, la détermination de tous les acteurs du système de santé, des citoyens aux institutions, converge en faveur de l’accélération de l’innovation, et surtout, de l’accélération de son transfert en usage. C’est une situation inédite. Concernant le numérique, il existe une volonté politique forte et des ambitions échelonnées. Une multitude de dispositifs de politiques publiques et de financement, dont France 2030, ont été lancés, et cela au niveau national. Le récent financement de douze instituts hospitalo-universitaires, quatre bioclusters et dix tiers lieux d’expérimentation représente le fruit de programmes spécifiques aux régions. L’engagement est clair, faire de la France une nation leader en matière de santé numérique.
L. A. La crise sanitaire a marqué un tournant pour l’innovation française. Outre le besoin d’un système de santé organisé et résilient face aux crises, des points de vulnérabilité ont été identifiés. Parmi eux, la nécessité d’établir des filières de bioproduction matures dans l’Hexagone. Le plan "Innovation santé 2030" est pleinement issu de ce contexte grâce à des innovations foisonnantes qui ont été mises en lumière. Et avec l’ensemble des établissements au niveau des territoires, désireux de les faire émerger. Dans les structures hospitalières, les directions de l’innovation, les accélérateurs et les incubateurs se mettent en place. Au fil de ces évolutions, le nerf de la guerre repose sur l’accompagnement que l’on offre pour assurer aux innovations le meilleur accès aux patients et soignants. Car ces changements constituent, entre autres, des améliorations concrètes pour les soignants, qui gagnent en qualité de vie au travail.
Comment contribuez-vous à l’adoption des innovations ?
A. T. La prolifération des découvertes, produits et outils en santé avec une approche technologique, témoigne d’une accélération permanente de l’innovation qui répond aux attentes des citoyens. L’enjeu réside dans la gestion de cette vitesse d’innovation afin de la transférer en usage. Les organismes chargés de la certification, la régulation et le financement des innovations doivent suivre le rythme sans faire de concession sur la qualité de l’évaluation des produits. De nouveaux dispositifs de régulation, plus ouverts, ont été lancés : l’article 51, qui promeut les organisations innovantes, le forfait innovation de la Haute Autorité de santé (HAS), qui permet l’évaluation anticipée des produits et, plus récemment, le décret Pecan, pour la prise en charge anticipée des dispositifs numériques. Ils représentent autant de jalons pour établir des systèmes de "fast track".
"L’engagement est clair, faire de la France une nation leader en matière de santé numérique"
En matière d’émulation de l’innovation, quels sont vos chantiers prioritaires ?
L. A. L’AIS porte une mission prospective et de veille des travaux prioritaires sur les thérapies innovantes. Parmi elles, les thérapies géniques sont au coeur de la mission sur la régulation ainsi que le financement des produits de santé lancé par la Première ministre. La révolution qu’elles esquissent repose sur leurs modalités organisationnelles et de financement, ces traitements s’administrant très souvent en une fois. Si ces thérapies concernent pour le moment des populations ciblées, voire de niche, elles s’adresseront dans les prochaines années à un plus large public. L’un des enjeux tiendra à la garantie d’un accès équitable pour les patients tout en assurant une évaluation adaptée sur le long cours. Dans le même sens, les projections indiquent que sur les 100 médicaments les plus prescrits quotidiennement, la moitié sera à l’avenir composée de biomédicaments. Il y a donc urgence à se doter des équipements de production en France.
A. T. Au sein de PariSanté Campus, nos chantiers prioritaires se basent sur la démonstration de l’importance du numérique, qu’il s’appuie sur des bases de données, des applicatifs ou de l’IA, pour répondre aux problématiques concrètes des soignants, des patients et de l’ensemble de notre système de santé. Au-delà de ces nouveaux enjeux, je me félicite que PSC accueille les trois axes stratégiques du volet santé de France 2030, avec l’ANRS MIE, qui se charge des maladies infectieuses émergentes, et France Biolead, qui fédère la filière française de bioproduction. Pour tous ces axes, le numérique, qui est notre cœur d’expertise, sera une ressource essentielle.
Un an et demi après le lancement de PariSanté Campus, quel est votre bilan ?
A. T. PariSanté Campus (PSC) constitue désormais une référence en matière de santé numérique. Depuis l’an dernier, l’arrivée de l’Agence de l’innovation en santé a complété le riche consortium de start-up et institutions installées dans nos locaux. Entre les demandes de partenariat et d’installation, nul doute que nous incarnons un écosystème dynamique et attractif. Au-delà du programme PSC, l’État démontre sa volonté de réinvestir massivement dans l’innovation en matière de santé, notamment dans le numérique. La nouvelle feuille de route du numérique en santé, récemment dévoilée, en est un des signes forts, complétée par des actions concrètes, comme l’émergence de différents dispositifs d’accès rapide dont l’accès au remboursement pour les solutions de télémédecine. Enfin, le fonds d’investissement que PSC anime avec Bpifrance sur des sujets numériques et de prévention porte de multiples ambitions pour l’évolution du système de santé.
Basé dans le 15e arrondissement de Paris, PariSanté Campus a démarré le programme de réhabilitation de son futur site, consacré à la recherche et l’innovation en e-santé. Où en est-il ?
A. T. L’installation de PSC dans l’ancien hôpital d’instruction des armées du Valde-Grâce commence par la mise en place du programme de réhabilitation lancé en 2021. Pour le moment, de nombreuses étapes ont été franchies : procédures administratives, évaluation du bâtiment et modalités de financement. Notre ambition est de redonner vie à un lieu emblématique de l’excellence française de la santé en regardant vers l’avenir avec un prisme numérique. Après de nombreuses concertations citoyennes, lors desquelles nous avons été attentifs à rassembler l’adhésion du plus grand nombre, l’État recherche aujourd’hui un concessionnaire privé pour rénover et entretenir le site à travers un appel d’offres public.
Propos recueillis par Léa Pierre-Joseph