Les pénuries de médicaments en France sont récurrentes. Dernière en date, celle du Beyfortus contre la bronchiolite. Peut-on les éviter, et avec quelles mesures ? Entretien avec Sonia de La Provôté, sénatrice du Calvados qui a piloté le rapport de la commission d’enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française rendu public en juillet 2023.
Dix jours après sa mise sur le marché le 15 septembre, le Beyfortus était en rupture de stock. Qu’est-ce qui, cette fois, n’a pas fonctionné ?
Il faut souligner la campagne proactive de prévention sanitaire de la part de l’exécutif pour assurer la couverture immunitaire contre la bronchiolite d’une population cible d’enfants nés à partir du 6 février 2023. Contre toute attente, cette campagne a été suivie d’une importante adhésion des parents, des maternités, des services de néonatalité, des médecins et des pharmaciens, portée par des rapports d’efficacité de près de 80 % et le souvenir de la pénurie de médicaments lors de la crise de bronchiolite sévère, fin 2022 - début 2023. Les 200 000 doses achetées par l’État ont ainsi rapidement été écoulées, et le laboratoire ne s’est pas mis en situation de répondre à la demande rapide et massive, en France comme à l’étranger. Ce n’est pas le seul problème. Le fait d’avoir privilégié la distribution de ce nouveau traitement dans les établissements hospitaliers a donné l’impression aux médecins libéraux de ne pas être reconnus comme des maillons essentiels de la prévention sanitaire. C’est une erreur.
"La politique d’un médicament n’obéit pas qu’aux capacités budgétaires de la Sécurité sociale"
Vous appelez à une clarification du pilotage de la politique de pénurie des médicaments. Pour quelle raison ?
Entre politique budgétaire et financière, politique industrielle et stratégie sanitaire, nous sommes face à de nombreux interlocuteurs dont les intérêts ne sont pas toujours convergents. Par exemple, le financement de l’innovation dans le cadre de France 2030 ou encore l’accompagnement des crédits recherche ne dépendent pas du ministre de la Santé. Ils constituent pourtant un levier fondamental de mobilisation des moyens publics pour garantir une production en France et faire grandir la recherche et l’innovation en matière sanitaire. Ces questions ne peuvent pas être réglées au moment du PLFSS. La politique d’un médicament n’obéit pas qu’aux capacités budgétaires de la Sécurité sociale. Il faut être en mesure d’absorber le prix des médicaments très onéreux, de plus en plus nombreux.
La commission sénatoriale a proposé un secrétariat général pour réunir tous les acteurs autour de la table. Sans réponse, il faudra de toute façon trouver une solution, et nommer un responsable du pilotage de la politique de pénurie des médicaments.
On a parfois l’impression que l’accès à l’innovation thérapeutique relègue au second plan la prise en compte des pénuries touchant certains médicaments dits courants…
Il y a un défaut d’anticipation des pénuries sur les médicaments courants. C’est d’autant plus dommageable qu’une partie d’entre eux relève de la catégorie des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. Certains, comme les traitements des troubles du rythme cardiaque ou de l’asthme, par exemple, sont à risque de pénurie parce que l’outil industriel n’est pas adapté, qu’il existe des monopoles de fabrication pour lesquels tout incident de production peut générer une pénurie ou alors parce qu’aucun plan B n’a été prévu. C’est le cas de la pilule abortive ou de certains antiépileptiques. On doit pouvoir anticiper les alertes, plusieurs mois en amont. Les laboratoires de médicaments essentiels ont une obligation de stock, de transparence des données et de plan de gestion des pénuries, mais nos outils de contrôle sont très insuffisants. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a vu ses moyens renforcés, comme nous le demandions. C’est une bonne chose, j’espère qu’elle pourra jouer son rôle de gendarme et de gardien de la santé publique. Mais ce n’est pas tout, il faut aussi pouvoir anticiper les tensions à l’échelle des territoires. Enfin, il serait bien de pouvoir déterminer le coût global d’une pénurie : retard de traitement, traitement de substitution inadapté. Personne ne le connaît. Cela inciterait pourtant les tenants du tout budgétaire à mieux anticiper les pénuries de médicaments courants. Elles ont un coût, et pas uniquement en matière de santé publique mais aussi en euros.
Propos recueillis par Pierre Derrouch
Sonia de La Provôté, sénatrice du Calvados