Un bide retentissant. Il n’y a pas d’autre terme pour qualifier la campagne européenne de Florian Philippot et de son mouvement Les Patriotes. Avec 0,65 % des suffrages le 26 mai 2019 au soir, le parti chantre du Frexit obtient un score anecdotique, inférieur au parti animaliste et ses 2,16 %. Quel désaveu pour l’ancien numéro 2 du Front national qui, depuis septembre 2017, date de création de sa boutique, roule pour son propre compte ! À l’issue du scrutin, de nombreux observateurs de la vie politique le jurent : Florian Philippot ne s’en relèvera pas. Pourtant, en 2021, tel le phénix, il semble renaître de ses cendres. La clé de son renouveau ? Flatter l’électorat complotiste. Autant le dire d’emblée, l’énarque n’y va pas avec le dos de la cuillère. Les manifestations anti Pass Sanitaire de ce mois de juillet en sont la preuve.
En croisade contre la "coronafolie"
La crise sanitaire s’avère une aubaine pour l’ancien second de Marine Le Pen qui dénonce à tout-va la "tyrannie covidiste". Selon lui, la situation est plutôt simple : l’impact du coronavirus est sciemment exagéré et le fait d'imposer la vaccination obligatoire ferait de la France un pays digne des pires dictatures. À qui profite le crime ? Selon lui aux laboratoires qui vendent des vaccins alors que des traitements moins onéreux existent, à l’Union européenne qui y voit un bon moyen de régenter davantage nos vies, voire aux membres du gouvernement qui, par sadisme, se plairaient à diriger les citoyens comme du bétail. Heureusement, Florian Philippot est là pour combattre ceux qu’il qualifie de "caste", "d’eurogagas" ou "d’oligarchie". Depuis plus d’un an, il semble se glisser avec délectation dans le rôle de chef de ce qu’il nomme "la résistance". Une ligne correspondant exactement à la notion de complotisme qu’Antoine Bristielle, chercheur en sciences politiques, qualifie "d’idéologie qui consiste à justifier une situation par le fait qu’il existe des gens, tapis dans l’ombre, tirant toutes les ficelles".
Concrètement, le chef des Patriotes remet en cause l’efficacité du confinement, et s'est même risqué à critiquer les masques. Ainsi, dans un tweet en date du 19 janvier, il déclare crânement : "Qu’on ne s’avise pas à m’imposer un masque FFP2, j’en ferai un feu de joie immédiatement. À un moment, stop à tout ce délire ambiant. Que les névrosés masqués soignent leur névrose et laissent les gens vivre".
Les propos de Florian Philippot conduisent à des actes tels que des centres de vaccination incendiés à Urrugne ou à Audincourt.
Celui qui a perdu son mandat de conseiller régional de la région Grand Est lors des dernières régionales se retrouve également en première ligne pour combattre un possible passeport vaccinal élaboré par l’UE. Il dénonce avec ferveur cette mesure qu’il considère comme un "ausweis" qui transformera ceux qui refusent de "subir la tyrannie" en "citoyens de huitième zone". Désormais, Florian Philippot est même devenu organisateur de manifestations contre la "coronafolie" ou le Pass sanitaures. Lui et ses partisans battent le pavé dans plusieurs villes de l’Hexagone et crient leur colère sous les fenêtres du ministère de la Santé.
Dans les manifestations "Philippotistes", certains s'approprient l'étoile jaune. Un pas de plus dans l'indignité.
D’autres munitions en stock
L’ancien député européen varie les causes puisqu’il a dans sa besace de quoi amadouer toutes les catégories de complotistes qui, en l’écoutant, en ont pour leur argent. Durant le mois de février, l’activiste écolo Greta Thunberg est ainsi qualifiée "d’énorme coup de com mondial monté de toute pièce" tandis que les QR codes sont vus comme "un traçage généralisé de la population et la fin de la vie privée". Évidemment, durant l’élection présidentielle américaine, Florian Philippot est monté au créneau pour dénoncer une élection volée, un coup de force des juges ou une atteinte portée à la démocratie.
Pour Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch et auteur de l’ouvrage L’opium des imbéciles, essai sur la question complotiste, Florian Philippot est le premier responsable politique tricolore à s’aventurer aussi loin sur ce terrain : "Le complotisme d’autodéfense est assez généralisé et c’est parfois de bonne guerre. Ce fut notamment le cas de François Fillon qui, en 2017, a justifié ses soucis judiciaires par un complot des juges. À sa manière, François Bayrou a fait de même." Mais Florian Philippot passe à la vitesse supérieure. Et comme les plus grandes figures complotistes, Internet est devenu son terrain de jeu.
YouTube, Facebook, Twitter : le roi du buzz digital
Pour faire passer ses idées auprès du plus grand nombre, Florian Philippot est présent sur YouTube où sa chaîne tient plus de la webtélé complotiste que de la politique traditionnelle. Elle est abondamment alimentée de longues vidéos aux titres que l’on peut sans sourciller qualifier de putaclic. Les internautes se délectent ainsi de contenus intitulés "photo volée de Bayrou sans masque : ce que ça cache", "Raoult attaque très fort et fait des révélations", "nombre de malades hospitalisés, l’incroyable découverte".
À l’instar des gourous du XXIe siècle, il s’adresse directement au public face à une webcam et en profite pour vanter son analyse "sans langue de bois" ou encore sa capacité à montrer "des vérités cachées". Enfin, business is business, il invite régulièrement les spectateurs à rejoindre les rangs de "la résistance" en adhérant aux Patriotes. À l’occasion, Florian Philippot se mue parfois en commercial puisqu’il met à profit ses allocutions pour écouler des "kits" comprenant des autocollants, des panneaux et des sacs à l’effigie de son parti.
En une année la chaîne YouTube de Florian Philippot est passée de 16 000 à 216 000 abonnés, une hausse de 1 250% !
Reconnaissons-le, cette stratégie paie. En une année, sa chaîne est passée de 16 000 à 126 000 abonnés, soit une hausse de de 1 250 %. À titre de comparaison, celle de Marine Le Pen culmine à 44 000 abonnés, celle de l’Élysée 47 800. Sur la scène politique, seules deux personnes le dépassent : Emmanuel Macron (225 000) et Jean-Luc Mélenchon, leader incontesté avec ses 534 000 abonnés.
Pour augmenter son audience, Florian Philippot est également extrêmement actif sur Twitter, réseau sur lequel il est probablement le responsable politique français le plus bavard. Autre atout dans sa poche, l’ancien frontiste a massivement investi Facebook où il compte 169 000 followers.
Stratégie digitale mûrement réfléchie
Une stratégie digitale qui ne doit rien au hasard puisque, comme le note Antoine Bristielle, "les complotistes s’informent beaucoup sur YouTube et n’hésitent pas à viraliser les contenus par des groupes Facebook ainsi que par des boucles d’e-mails ou WhatsApp". Parmi eux, "essentiellement des jeunes non diplômés qui n’ont pas confiance dans les institutions, mais aussi des quinquagénaires peu diplômés mais plutôt insérés socialement", souligne l'expert.
Si 20 % des Français sont sensibles aux thèses complotistes, c’est dans l’électorat RN et LFI qu’ils sont le plus nombreux. S’adaptant à son nouveau marché, Florian Philippot, qui a pourtant fait une grande partie de sa carrière auprès de Marine Le Pen, met désormais en sourdine les questions d’islam, de voile, d’immigration ou d’insécurité dans ses harangues digitales ou ses posts sur les réseaux sociaux.
Futur incertain
En passant de l’extrême droite au complotisme, Florian Philippot fait un pari habile décrit par Antoine Bristielle : "Si l’épidémie s’éternise et que le ras-le-bol monte, certains élus tiendront des propos comme lui et il dira qu’il a eu raison avant tout le monde. Dans le pire des cas, il a gagné un nouvel électorat potentiel". Selon le chercheur, cette stratégie montre le flair politique de l’ancien frontiste qui a "compris qu’il était impossible de siphonner les voix du RN ou de tout miser sur le Frexit". Le complotisme serait donc la martingale de Florian Philippot, plutôt seul sur ce terrain-là puisque, Insoumis comme Lepénistes cherchent à se présidentialiser. Restent les écolos anti-vax, tels que Michèle Rivasi mais ils sont moins bien structurés et peu audibles.
"Attention à ne pas confondre popularité sur les réseaux sociaux et votes réels"
Rudy Reichstadt, de son côté, est plutôt circonspect sur l’efficacité de cette mutation idéologique. D’après lui, "Attention à ne pas confondre popularité sur les réseaux sociaux et votes réels, d’autant plus que Les Patriotes s’adressent à un public globalement abstentionniste". Mais, après tout, Florian Philippot rêve-t-il de voir son parti détenir des mandats ? Lui que son ancienne alliée Sophie Montel accuse de vivre dans une "divine solitude" ou d’être incapable de travailler collectivement a peut-être trouvé un rôle à sa mesure. Celui d’influenceur complotiste. Une situation qui permet de satisfaire un responsable politique accusé d’avoir un ego développé.
Lucas Jakubowicz