Décideurs. Pourquoi les dirigeants politiques se mettent-ils en scène avec des bêtes ?
Lucas Jakubowicz. Traditionnellement, il s’agit d’étaler sa majesté et sa puissance, ce qui est une technique vieille de plusieurs millénaires. Les empereurs romains possédaient déjà des zoos privés pour montrer qu’ils régnaient sur l’ensemble des êtres vivants du monde connu. Au Moyen-Âge, souverains et nobles paradaient sur des chevaux pour se distinguer du reste de la population. Jusqu’au XXe siècle, les monarques s’associaient aussi à cette noble monture. Pensons aux statues équestres ou à certaines peintures telles que Napoléon franchissant les Alpes. De nos jours, ce sont logiquement les dirigeants des régimes les plus autoritaires qui recourent à nos amies les bêtes pour montrer leur force. Kim Jong-un en Corée du Nord et Gurganbuly Berdimuhamedow au Turkménistan ont transformé le cheval en pilier central de leur propagande. Vladimir Poutine est connu pour prendre la pose en chevauchant torse nu en Sibérie ou en s’illustrant au côté de tigres, panthères et autres bêtes réputées indomptables. Il est également cocasse de constater que les dirigeants les plus mégalos de l’histoire contemporaine ont possédé des zoos privés. C’était le cas de Muhammar Kadhafi, Saddam Hussein, Jean-Bedel Bokassa ou encore Manuel Noriega. En ce XXIe siècle, c’est le Tchétchène Ramzan Kadyrov qui est le "gardien de la tradition". Il possède dans sa résidence des fauves et, par ailleurs, il aime poser en cavalier impétueux...
Tout cela n’est pas très démocratique...
Oui, je vous le confirme ! Mais pas d’inquiétude, les dirigeants des pays démocratiques ne sont pas les derniers à manipuler les électeurs en s’affichant avec de charmantes boules de poils... Lorsque l’accès au pouvoir dépend d’élections pluralistes, les candidats doivent montrer qu’ils sont des "gens bien", qu’ils sont "proches du peuple" ou "dignes de confiance". Pour cela, quoi de mieux que montrer que l’on possède un animal domestique que l’on aime et que l’on choie ? Les réseaux sociaux permettent aux communicants de mettre en place des stratégies de story telling et des images qui génèrent des milliers de likes ou de partage... En somme, posséder un animal domestique est incontournable pour un dirigeant politique.
Quelle est la mode du moment ?
Adopter une bête dans un refuge et ne pas lésiner sur la communication pour montrer que l’on a du cœur. En décembre 2017, Gérald Darmanin a fait l’acquisition de son chat Boris dans une SPA de son fief de Tourcoing. Depuis, il le met en avant pour casser son côté technocratique. Quelques mois après son élection, Emmanuel Macron a "recruté" son chien Nemo dans un chenil des Yvelines et le met fréquemment en avant sur les réseaux sociaux officiels. Quelques mois avant de se présenter à la primaire démocrate, Joe Biden a lui aussi adopté un Berger allemand dans un refuge. Cette race de chien est la plus populaire dans trois swing states : Ohio, Illinois et Floride… Accordons également une mention spéciale à Boris Johnson qui, dans la foulée de son accession au 10 Downing Street, a adopté Dylin, un Jack Russel handicapé. Dans tous les cas, le message envoyé aux électeurs est peu subtil : je change la vie des bêtes, je peux transformer la vôtre…
"En campagne, il faut donner une image de confiance et d'humanité. Quoi de mieux que de poser avec un animal ?"
Un bord politique manipule-il plus les animaux que d’autres ?
Tout le monde recourt à cette grosse ficelle mais je dirais que la droite populiste n’est pas la dernière. C’est compréhensible puisque ses leaders tiennent souvent des propos assez durs sur les questions de mœurs, d’immigration, d’insécurité. Avec un animal mignon à côté, ça passe mieux pour séduire. Si Jean-Marie Le Pen tenait ses Dobermans en haute estime, Marine Le Pen fait étalage de sa passion pour les chats. En Italie, Matteo Salvini a aussi promu les matous en précieux auxiliaires de sa stratégie de communication sur les réseaux sociaux. Et l’évangéliste ultra-conservateur Mike Pence, vice-président de Donald Trump, s’est accaparé le lapin de sa fille pour faire passer des idées que l’on peut qualifier de peu progressistes…
"Un animal pour les gouverner tous. Comment les dirigeants politiques exploitent les bêtes pour nous manipuler", Lucas Jakubowicz, Arhkê, 192 pages, 17,50 euros.
Poser avec son avec son chien, son lapin ou ses chats, c’est un peu gros. Les électeurs tombent-ils dans le piège ?
Il est difficile d’évaluer avec certitude "’effet animal" car une victoire électorale dépend de plusieurs éléments. Dans plusieurs cas, on remarque toutefois que, lorsqu’un homme politique opte pour un show animalier, il en tire bénéfice. Lors des dernières présidentielles, Joe Biden a utilisé ses deux Bergers allemands sans vergogne et a fustigé Donald Trump qui n’a jamais possédé de pet. Hasard ou non, il a regagné des voix dans l’électorat blanc surreprésenté parmi les propriétaires d’animaux domestiques. Durant les dernières législatives, Boris Johnson a surperformé par rapport aux prévisions. Étrangement, le matin du vote, il a câliné et embrassé son cabot devant les caméras.
Du côté de l’Hexagone, les résultats sont également probants. Rappelez-vous, à la veille du premier tour de la présidentielle 2007, Nicolas Sarkozy avait occupé l’espace médiatique en optant pour une mise en scène qui ne faisait pas dans la dentelle : chevaucher un destrier blanc entouré de taureaux en Camargue devant une foule de journalistes en pamoison. Résultat, son score de 31,8% était bien plus élevé que ce que prévoyaient les derniers sondages. De même, lorsqu’Emmanuel Macron dévoile Nemo au grand public, les journalistes présents sur le perron de l’Élysée rient. À cette époque, le Président est au plus bas dans les sondages. Il est perçu comme un jeune banquier technocratique. Le chien lui a permis de marcher dans les traces de ses prédécesseurs et de "fendre l’armure", comme disent les communicants. Sa cote de popularité a immédiatement remonté. En somme, mieux vaut avoir un animal à ses côtés, ça ne fait pas de mal !
Propos recueillis par Alban Castres