Décideurs. Dans votre ouvrage, vous vous penchez sur la "recette" de communication d’Éric Zemmour. Comment la définir ?
Raphaël Llorca : Elle est à l’opposé de sa rivale d’extrême droite, Marine Le Pen. Cette dernière prend le parti de se dédiaboliser, d’essayer de séduire le centre. Cela se voit sur les affiches de campagne qui adoptent un bleu délavé sur lesquelles on retrouve la lettre M, soit aime. Nous sommes loin des codes du nationalisme populiste. Marine Le Pen, et ce n’est pas anodin, se met également énormément en scène avec ses chats. En somme, elle cherche à jouer la carte de la "mère de famille" rassembleuse. Tout le contraire d’Éric Zemmour qui fait le pari de la radicalité.
Sur la forme, ses affiches sont sombres, il sourit peu, son discours est anxiogène. Son objectif ? Cliver sur tout, tout le temps : Vichy, Dreyfus, l’islam, Vladimir Poutine... En filigrane on retrouve l’idée de radicaliser les Français, de mettre au cœur du débat des éléments que nous n’aurions jamais abordés il y a quelques années. Viktor Orban a utilisé cette technique en Hongrie.
Éric Zemmour assume la radicalité et le discours anxiogène. Pourtant, dans votre livre, vous expliquez qu’il utilise la carte du "cool". N’est-ce pas paradoxal ?
Peut-être, mais c’est théorisé. Son équipe de communication a probablement reçu le brief suivant : comment faire accepter la radicalité au plus grand nombre ? Comment faire baisser le coût d’adhésion social à des idées il y a peu marginalisées ?
Et pour cela, la carte du "cool" est utilisée. Les équipes d’Éric Zemmour ont compris que nous n’étions plus dans "l’ère TV" théorisée par Jacques Pilhan, mais dans ce que j’appelle "l’ère Netflix". Les citoyens sont désormais habitués au rythme des séries avec un héros au caractère trempé, des épisodes, des rebondissements, des changements de décors, des vidéos au format court, si possible viralisées sur les réseaux sociaux, des "punchlines" mémorisables. Le staff de Reconquête ! a parfaitement pris en compte cet enjeu.
Le moindre déplacement d’Éric Zemmour fait l’objet d’une courte vidéo au format léché avec de la musique et une scénarisation, le tout dans des lieux symboliques tels que l’Arménie, le Mont-Saint-Michel… Des gimmicks reviennent régulièrement, songeons par exemple au désormais célèbre "Ben voyons". C’est une communication très moderne qui promeut les idées les plus radicales connues sous la Ve République. Paradoxalement, cette scénarisation met en avant un personnage qui n’est pas du tout familier avec ces nouveaux codes.
Une minorité est parvenue à introduire dans le débat public des idées comme le grand remplacement, le fait que certains prénoms ne font pas de vous un Français ou que la France est en guerre civile.
Pour rendre cette radicalité acceptable, la carte du rire est également mise en avant…
Tout à fait, c’est une stratégie dans la droite ligne de l’alt-right américaine mais aussi de Matteo Salvini. Les réseaux sociaux fourmillent de mêmes mettant en avant Zemmour, Reconquête ! utilise la moquerie pour tourner en dérision les progressistes qui, par exemple, prônent la diversité dans un environnement 100 % blanc. Je pense également à la création d’un "générateur de prénoms" qui a été très partagé sur les réseaux sociaux puis dans les médias grand public. Cet outil a permis de populariser l’idée que certains prénoms ne font pas de nous de vrais Français.
En quoi cette stratégie Zemmouriste est-elle dangereuse ?
Comme je l’expliquais, elle rend "acceptable" la radicalité et est reprise partout dans le débat public. Certes, le principal canal d’Éric Zemmour, Twitter, est utilisé par 6 % des Français, un microcosme instrumentalisé par quelques-uns. Mais cette minorité influente est parvenue à imposer des idées radicales dans les médias grand public.
Imaginez que le terme de grand remplacement est entré dans le langage courant, il est même utilisé en meeting par Valérie Pécresse ! De même, la légitime défense devient une défense excusable, le terme de "lobby LGBT" entre dans le langage courant. Finalement, le but d’Éric Zemmour n’est pas de remporter la présidentielle mais d'infuser ses idées dans le débat public.
Propos recueillis par Lucas Jakubowicz
Les nouveaux masques de l’extrême droite, la radicalité à l’ère de Netflix, de Raphaël Llorca, Fondation Jean Jaurès, L’aube, 112 pages, 16 euros