Décideurs. Nous étions habitués à voir tous les partis se réclamer du gaullisme. Maintenant, tous se disent écolos. Que vous inspire ce revirement ?
Éric Piolle. C’est bien souvent une posture de façade. Un mouvement écologiste pratique par définition l’écologie politique, c’est à dire un projet de société qui concilie préservation de l’écosystème, respect du vivant et prospérité, au sens large du terme : la santé, la vitalité économique, la culture, les droits sociaux. Cela suppose de lutter contre la prédation des ressources, la productivité à tout prix, tout en promouvant l’égalité entre tous les citoyens et l’atténuation de tout rapport de domination. À l’aune de cette définition, je suis convaincu que l’écologie politique est non seulement de gauche, mais incarne une aspiration majoritaire dans notre pays.
Le PS ou LFI sont donc adeptes de l’écologie politique ?
Les deux partis entament une prise de conscience, mais, de facto, c’est EELV qui est en pointe sur cette thématique. Même si le PS se réclame de la social-écologie, un héritage productiviste et néo-libéral est encore très présent dans son corpus idéologique. Si je note une mutation dans la jeune génération socialiste, certaines propositions de la campagne d’Anne Hidalgo ne sont pas vraiment vertes, c’est notamment le cas de la baisse de la fiscalité sur l’essence alors que l’enjeu est plutôt d’en consommer moins.
"Je suis convaincu que l'écologie politique incarne une aspiration majoritaire dans notre pays"
Du côté de Jean-Luc Mélenchon, une véritable mutation a eu lieu en 2017, même si l’on perçoit encore un petit relent de productivisme, notamment dans son programme sur la mer et la conquête spatiale. Mais, à gauche, les curseurs bougent peu à peu et c’est réjouissant.
Quel regard portez-vous sur le bilan environnemental du gouvernement ?
La question de l’écologie était un impensé pour Emmanuel Macron. Du reste, dans son livre programmatique, Révolution, publié avant la présidentielle de 2017, le terme était quasi absent. Une fois au pouvoir, il a pris conscience de la question, par exemple en mettant en place un haut conseil pour le climat. Mais celui-ci s’est inquiété de la lenteur des réformes. Que ce soit sur les pesticides, la chasse ou la pollution de l’air, les actions sont trop timides pour changer la vie. Une loi de 2015 avait prévu de diviser par deux la consommation énergétique de la France d’ici à 2050, nous ne sommes pas dans les clous.
Au-delà de l’écologie, je rappelle qu’Emmanuel Macron a été élu dans un réflexe de vote barrage contre l’extrême droite. Il se voyait comme un rempart, mais c’est une faillite totale puisque ce bord politique n’a jamais été aussi fort et radicalisé…
Une des critiques contre votre parti consiste à vous déclarer "anti-science", "anti-progrès", voire "amish". Que répondez-vous à ces attaques ?
Je suis ingénieur, je les trouve cocasses puisque notre programme est justement basé sur des données scientifiques qui montrent que notre planète se réchauffe et doit changer son mode de vie pour continuer à exister. Ce sont ceux qui prônent la croissance sans fin ou la hausse continue du PIB qui s’assoient sur la science ! Précisons également que les Verts ne sont pas "anti-technologie" puisque, pour diminuer notre consommation et notre empreinte carbone, il est nécessaire de développer de nouvelles manières de voyager, s’éclairer, s’informer. Ce qui, bien évidemment, passe par la recherche scientifique. La vraie question est : quelle inspiration donnons-nous au progrès technologique ? Nous devons gagner cette bataille-là.
"Ce sont ceux qui prônent la croissance sans fin qui sont anti-science, pas EELV"
Un autre angle d’attaque utilisé contre EELV consiste à vous dépeindre en parti de "bobos"…
Une fois encore cette critique ne me touche pas et est démentie par les faits. À Grenoble, nous avons mené une véritable politique sociale qui a notamment permis de redynamiser des quartiers comme celui de Mistral. Lors des dernières municipales, notre liste a largement fait croître ses résultats dans les bureaux de vote les plus populaires. Par ailleurs, à ce même scrutin, mais aussi aux européennes, les Verts ont amélioré leurs scores dans toutes les communes, qu’elles soient urbaines, rurales, populaires ou plus aisées. Précisons au passage que le terme "bobo" a été largement utilisé au départ par les néo-libéraux qui cherchent à discréditer les plus aisés qui développent une conscience sociale. Pour continuer notre dynamique, nous devons utiliser notre bilan, mais aussi nous lancer dans la bataille culturelle pour rendre l’écologie inspirante pour tous.
Justement, dans cette campagne présidentielle, Éric Zemmour semble le seul à assumer mener une bataille culturelle…
Oui… Et les Verts doivent relever le gant et porter une définition claire de la France, de son projet, de son histoire, de ses valeurs, pour rendre leurs idées et leur bilan désirables. J’ai l’honneur d’être le maire de la ville dont jailli l’étincelle de la Révolution françaises, en 1788. C’est, selon moi, une priorité de convoquer nos références communes pour rendre attractive cette notion de République écologique. La France est une nation qui a besoin de symboles pour se rassembler, notre histoire est un atout pour cela. C’est ce que j’ai essayé de faire dans ma campagne, que ce soit à Grenoble ou pour la primaire du parti. De même, dans une tribune publiée dans Libération en novembre 2020, j’ai assumé faire référence au "génie français", pas celui d’un homme, celui d’un peuple. Je pense que le moment est venu de changer notre narratif, en assumant également le fait que nous ne sommes plus un parti de témoignage. Désormais, nous voulons gagner, pour changer la vie !
Propos recueillis par Lucas Jakubowicz