La large victoire des républicains qui contrôlent désormais la Maison-Blanche, la Chambre des représentants, le Sénat et la Cour suprême est multi factorielle. Les raisons de ce succès pourraient inspirer les forces politiques de l’Hexagone pour le meilleur ou pour le pire.
Le soutien des stars n’est pas efficace
Si seules les célébrités avaient le droit de vote, Kamala Harris aurait été élue haut la main. Durant la campagne, un aréopage de personnalités artistiques a apporté son soutien à l’adversaire de Donald Trump. Citons, pêle-mêle, Beyoncé, Taylor Swift, Leonardo DiCaprio, Eminem, Bruce Springsteen, Spike Lee, Julia Roberts, Jennifer Aniston, Lady Gaga, Billie Eilish, Harrison Ford...
Sur les réseaux sociaux, dans les meetings, le ban et l’arrière-ban d’Hollywood n’ont pas ménagé leur peine. Les stratèges démocrates pensaient que cela serait suffisant pour inciter des millions d’électeurs à déposer un bulletin Harris-Walz. L’objectif était également d’inciter la jeunesse américaine à voter démocrate.
L’opération "stars for Kamala" a été un échec cuisant. Certes, les 18-24 ans se sont mobilisés. Mais ces derniers ont voté à 45 % pour Kamala Harris contre 64 % pour Joe Biden en 2020. Surtout, la technique a renforcé la stratégie anti-élite de Donald Trump qui n’a pas eu de mal à peindre sa rivale comme la candidate des puissants, du système, des élites déconnectées. "Beaucoup sont des millionnaires, loin des préoccupations des Américains moyens, mais qui vont donner des injonctions sur la manière dont ils doivent se comporter, être antiracistes, anti-misogynes, prôner l’intégration", explique dans le HuffPost Alexis Pichard, spécialiste de civilisation américaine.
Leçon pour la France : Le RN prospère lui aussi sur un discours anti-élite et antisystème. Les prises de position de stars pour combattre l’extrême droite peuvent avoir l’effet inverse à celui recherché et donner le sentiment que des élites coupées de leurs concitoyens font la morale au peuple. La metteuse en scène Ariane Mnouchkine avait d’ailleurs alerté le monde de la culture après le premier tour des législatives. Dans une tribune publiée dans Libération elle ne se disait "pas certaine qu’une prise de parole collective des artistes soit utile ou productive", car "une partie de nos concitoyens en ont marre de nous : marre de notre impuissance, de nos peurs, de notre narcissisme, de notre sectarisme, de nos dénis".
Il n’y a pas de "chasse gardée" électorale
Dans l’état-major démocrate, on voyait le futur avec optimisme. Les minorités votent massivement démocrate, elles sont de plus en plus nombreuses, donc les démocrates auront un net avantage dans les décennies à venir. CQFD. Or, malgré ses outrances et sa xénophobie, Donald Trump a massivement gagné des voix chez les électeurs qui ne sont pas Wasp.
La comparaison entre le score de Joe Biden en 2020 et celui de Kamala Harris en 2024 est éloquente. Chez les Latinos, les démocrates passent de 65 % à 53 %, chez les Asiatiques de 63 % à 56 %. Notons aussi une baisse de 10 points chez les 18-24 ans (de 65 % à 55 %).
Chez les Latinos, les démocrates passent de 65 % à 53 %, chez les Asiatiques de 63 % à 56 %. Notons aussi une baisse de 10 points chez les 18-24 ans (de 65 % à 55 %).
Leçon pour la France : Certains partis politiques estiment que quelques catégories de la population seront toujours fidèles. Mais les plaques tectoniques bougent. Ainsi, les + de 65 ans ont été le socle de LR avant de devenir celui du macronisme. Rien n’est définitif puisque les dernières européennes et législatives montrent un basculement vers le RN. De même, les jeunes basculent vers l’extrême droite.
Cela signifie aussi que la gauche n’a pas définitivement perdu le vote des classes populaires dans la France périphérique. Il faudra peut-être le dire à Jean-Luc Mélenchon qui, dans une prise de parole enregistrée au dérobé par Quotidien en septembre, déclarait à une militante : « Il faut mobiliser la jeunesse et les quartiers populaires. Tout le reste, laissez tomber, on perd notre temps ».
Le populisme fonctionne
Fake news, sorties outrancières, discours anti-élite… Donald Trump a joué plus fort que jamais la partition du populisme. Dans son parti, certains ont pris leurs distances voire ont fait campagne pour Kamala Harris. Parmi les frondeurs, l’ex vice-président Mike Pence, Liz Cheney et l’organisation Republican Voters Against Trump. Nombre d’analystes politiques assénaient que Trump serait desservi par son extrémisme. Les résultats sont clairs, il n’en a rien été et le populisme fonctionne partout.
Leçon pour la France : Dans l’Hexagone, et c’est ironique, la gauche mélenchoniste s’inspire de Trump. Alors que le RN tente de se dédiaboliser, les Insoumis multiplient sciemment les polémiques, les propos chocs. Comme dans le camp trumpiste, le culte du chef est clé, le débat interne inexistant, la presse attaquée, l’opposition interne purgée. Et ça marche ! Plus le mouvement se radicalise, plus les Insoumis se renforcent : d’une présidentielle à l’autre, d’un scrutin législatif ou européen à l’autre, ce bord politique gagne des voix et des sièges, soumet ses partenaires de gauche. Aucune raison qu’il s’assagisse.
La droite quitte le libéralisme
Pendant longtemps, l’idéologie républicaine était guidée par une philosophie résolument libérale sur bien des points : culture du débat interne, attachement au parlementarisme, défense du libre marché, ouverture au monde, respect à l’égard de la liberté de la presse, mépris pour le populisme, méfiance à l’égard du chef tout puissant et omniscient…
Depuis 2016, le mouvement Maga (Make America Great Again) a tout chamboulé. Désormais, le parti est celui d’un seul homme à qui il faut prêter allégeance, l’opposition interne a été purgée, l’idéologie est plus protectionniste et isolationniste, le discours est résolument anti-élite. Pourtant, dans les urnes, tout marche parfaitement. Les classes populaires apprécient et les élites suivent par pragmatisme ou adhésion.
Leçon pour la France : La droite n’a électoralement rien à gagner en restant libérale. LR semble s’inspirer de cela en votant contre la réforme des retraites, en remettant en question le libre échange, en fustigeant les élites ou le gouvernement des juges durant le vote sur la loi immigration. Problème pour LR, il y a encore plus populiste et anti-libéral sur son flanc droit avec le RN qui, pour sa part, essaie de prendre une couleur plus libérale.
Nul n’est loser à vie
Aux États-Unis, il existe une règle implicite, lorsqu’un candidat perd une présidentielle il est "cramé" et ne peut plus se représenter. Pourtant, Donald Trump est revenu plus fort que jamais pour réaliser un incroyable come-back qui déjoue la tradition.
Leçon pour la France : En France, les choses sont différentes et les "grands brûlés" de la politique ont souvent raison de persévérer. François Mitterrand ou Jacques Chirac ont été élus à la troisième tentative, Nicolas Sarkozy a connu une longue traversée du désert… Actuellement, certains responsables politiques qui ont subi de grandes déconvenues rêvent d’un retour à la Trump. François Hollande, adepte de la stratégie du "trou de souris", Laurent Wauquiez ou encore Éric Zemmour doivent trouver la victoire du républicain inspirante… Ce que reconnaît à demi-mot Sarah Knafo. Proche d’Éric Zemmour, l’eurodéputée Reconquête! était à New York pour suivre en direct le triomphe du camp trumpiste. L’occasion pour elle de souligner sur BFM : "On n’est jamais mort en politique, on a bien tort d’enterrer trop tôt des hommes de cette trempe. On a tort d’enterrer trop tôt ceux qui défendent les aspirations populaires des peuples occidentaux." Subtil.
Lucas Jakubowicz