331 députés ont voté la censure. Pour la première fois depuis 1962 un gouvernement est renversé par l’Assemblée nationale. Une preuve de vitalité démocratique ? Il est permis d’en douter…
Ce mercredi 4 décembre, il est un peu plus de dix-neuf heures. Michel Barnier se sait condamné d’avance mais prononce son dernier discours devant l’Assemblée nationale. Pour le spectateur, l’impression est étrange. L’ancien commissaire européen s’exprime lentement, calmement, sans lire ses notes face à des députés, pour beaucoup, hilares voire méprisants. Mention spéciale à l’Insoumis Éric Coquerel, la cravate déboutonnée, affalé sur son siège.
À 73 ans, le Savoyard a peut-être, en son for intérieur, le sentiment d’être un homme d’une autre époque. Une époque où les élus cherchaient la victoire électorale et le pouvoir mais avec un constant souci de l’intérêt général. Au-delà du trop facile "c’était mieux avant", Michel Barnier a d’évidence été marqué par les institutions européennes. Critiquées pour leur bureaucratie, elles sont un lieu de recherche constante du plus petit dénominateur commun, de la coalition la plus large possible. Écologistes, conservateurs, libéraux et sociaux-démocrates y travaillent en bonne entente. Ce n’est pas le cas au Palais-Bourbon.
Notre politique nationale ressemble à s’y méprendre à la série Game of thrones. Chaque chef de clan fomente des complots, des alliances contre nature et des coups tordus pour arriver au plus près du pouvoir. Quitte à oublier… les Français.
Marine Le Pen préserve son fonds de commerce
La motion de censure rédigée par le NFP a été votée par le RN. Pourtant, le texte prônait "le barrage à l’extrême droite", fustigeant le "durcissement de la politique d’immigration" et "la remise en cause de l’AME", des thèmes chers à Marine Le Pen. Pourquoi a-t-elle choisi de planter sa dague dans le dos de Michel Barnier ? Pour de prétendues "lignes rouges budgétaires" ? Il y a tout lieu de penser que sa motivation est liée à des considérations plus prosaïques : Bruno Retailleau peut lui voler son fonds de commerce comme l’a fait Nicolas Sarkozy en 2007. Ses ennuis judiciaires pourraient l’empêcher de concourir en 2027, d’où son intérêt d’une France ingouvernable et d’une présidentielle anticipée.
Chaque chef de clan fomente des complots, des alliances contre nature et des coups tordus pour tenter d'exercer un éphémère pouvoir
Jean-Luc Mélenchon jubile
De son côté, Jean-Luc Mélenchon, présent à l’Assemblée nationale, affiche un large sourire. Pour lui, tout se passe comme prévu : le gouvernement est affaibli, la France ingouvernable, le bruit et la fureur triomphent, les élites sont remises en cause, le reste de la gauche l’a suivi dans la censure mais n’est pas en mesure de proposer un candidat en cas de présidentielle anticipée.
Plus que jamais Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont des alliés objectifs qui ne pensent qu’à affaiblir les institutions et la démocratie pour se poser en ultimes recours. Plus le pays est bloqué, plus leur quête de pouvoir avance.
Le PS joue un coup de billard à trois bandes
Le PS, pourtant doté d’un statut de parti de gouvernement a lui aussi choisi d’abaisser le pouce et de condamner le gouvernement Barnier. Au sein du parti à la rose, certains espèrent sans doute un retour au gouvernement via une coalition sans LFI pour les "hollandistes" ou par l’entremise du serpent de mer Lucie Castets dont la durée de vie à Matignon n’excéderait pas une semaine. Dans les deux cas, cela ne rendra pas le parti plus fort ni ne permettra de trouver un leader pour faire face à la tentation hégémonique de LFI. Emprisonné dans le NFP, les socialistes sont condamnés à rester dans les filets d’un Jean-Luc Mélenchon qui ne se cache pas de vouloir faire la peau à la social-démocratie.
Plus que jamais Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont des alliés objectifs
Maintenant on fait quoi ?
Tout laisse à penser que les forces politiques ont privilégié la combinazione à l’intérêt des Français. Cette quête de la toute-puissance politique est d’autant plus vaine qu’elle est impossible. Dans une France désormais divisée en trois blocs, il est nécessaire de comprendre l’essentiel : la Vème République est devenue un régime parlementaire. Régner seul est utopique, il faut faire des concessions.
Quel que soit le nouveau gouvernement, il sera difficile de gouverner en jouant au chantage à la censure. Peu importe le scénario, un exécutif stable capable de plaire à tous les groupes politiques est impossible. En l’état, les motions de censure risquent de se répéter à de nombreuses reprises.
Les motions de censure risquent de se répéter à de nombreuses reprises
Les Français s’arrachent les cheveux
Les citoyens, pour leur part, semblent loin de tout cela et leur désamour pour la chose publique peut aller croissant, ce qui est un danger pour la démocratie. Une démocratie par ailleurs de plus en plus contestée. L’enquête "Les fractures françaises" réalisée par Ipsos pour Le Monde, Sciences Po-Cevipof, la fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne révèle un fait préoccupant. 35% des Français estiment que la démocratie n’est pas le meilleur des régimes, la proportion montant à 42% chez les moins de 35 ans. Pas certain que la motion de censure du 4 décembre permette de renverser la donne. Bloquée, inefficace, instable : la démocratie a du plomb dans l’aile. Après tout, n’est-ce pas le but recherché par les populistes de gauche comme de droite ?
Lucas Jakubowicz