Depuis la dissolution, les mouvements politiques sont plus fracturés que jamais et une nouvelle recomposition se met en place. Une aubaine pour certains élus qui créent des structures au service d’une cause ou de leur ambition.
Si un responsable politique annonce la création de son "parti", "mouvement", "club de réflexion" ou autre écurie personnelle dans les semaines qui viennent, il risque fort de lasser les médias et les citoyens qui se diront : "Allez, encore un de plus !". Sur tout l’échiquier politique, de nombreuses aventures plus ou moins abouties ont vu le jour depuis cet été.
À gauche, les purgés de LFI se rebiffent…
Jean-Luc Mélenchon est un fervent adepte de la logique stalinienne, "le parti se renforce en s’épurant". Le grand architecte de La France insoumise a une hantise : être contesté publiquement en interne et perdre la main sur l’appareil. Alors, quand quelques fidèles de la première heure osent demander un fonctionnement moins vertical, la sentence est simple : exclusion ! Le fondateur de LFI a profité de la distribution des investitures des dernières législatives pour purger. Parmi les victimes, Raquel Garrido, Clémentine Autain, Danielle Simonnet, Alexis Corbière ou, dans une moindre mesure, Hendrik Davi.
Malgré un cyberharcèlement massif et des candidats "officiels" dans les pattes, tous (hormis Raquel Garrido) ont été réélus et siègent désormais chez les écologistes. Mais ils représentent un nouveau parti officiellement lancé le 12 juillet lors d’un raout au Bal perdu à Bagnolet.
Son nom ? L’Après. Les mauvaises langues diront qu’il s’agit de l’après-Mélenchon. Les fondateurs rétorqueront qu’il s’agit de l’acronyme "Association pour une République écologique et sociale". D’ailleurs, leur manifeste précise que le parti refuse "de se laisser enfermer dans des règlements de compte". Le texte prévoit de tout faire pour aider le NFP et l’union de la gauche à accéder au pouvoir et préparer "l’après". Mais de préférence sans Jean-Luc Mélenchon. Reste à trouver le leader de la gauche unie.
Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon ont perdu des fidèles de la première heure
… Karim Bouamrane se place
Depuis quelque mois, Karim Bouamrane rêve d’un destin national. Le charismatique maire PS de Saint-Ouen est passé à l’offensive médiatique et tente de faire connaître sa personnalité et sa politique dans l’opinion. Il joue la carte de la gauche laïque, pro-business et pragmatique. Le 3 octobre, l’ancien entrepreneur a officiellement lancé son mouvement nommé La France humaine et forte avec la manière. Son premier meeting a eu lieu dans le stade Bauer de Saint-Ouen avec du James Brown à fond et 3 500 participants chauffés à blanc. Point important, le public comprenait bon nombre de hiérarques de "l’aile droite" du PS : Carole Delga, François Hollande, Emmanuel Grégoire, Raphaël Glucksmann, Lamia El Aaraje. Mais aussi de jeunes personnalités médiatiques telles que Julie Martinez, Flora Ghebali ou Hapsatou Sy.
Le mouvement se définit comme "ouvert à tous ceux qui veulent une alternative tournée vers l’espoir." Pour le moment la doctrine est vague, le site internet laconique et les observateurs politiques les plus chevronnés peinent à comprendre les tenants et aboutissants de l’opération. Créer un courant au sein du PS ? Essayer de faire monter un leader issu du parti à la rose capable de faire gagner l’ensemble de la gauche ? Refonder la social-démocratie ? Le manque de leadership sur cette partie de l’échiquier peut laisser quelques espoirs…
Promis, juré, le mouvement de Gérald Darmanin n’est qu’un "lieu pour réfléchir"
Au centre, Darmanin l’affranchi
Au sein de la majorité, l’après-Macron a officiellement commencé. Les dauphins potentiels placent leurs pions et lancent leurs structures. Édouard Philippe peut compter sur Horizons, Gabriel Attal est en train de faire main basse sur EPR (anciennement EM!, LREM, Renaissance). Lors de sa rentrée politique organisée le 29 septembre dans son fief de Tourcoing, Gérald Darmanin a officiellement dévoilé sa boutique baptisée "Populaires". Promis juré craché, ce n’est pas une écurie personnelle mais un « lieu pour réfléchir ».
Dans son discours prononcé devant 350 personnes dont Élisabeth Borne, Édouard Philippe et Gabriel Attal, il a insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’une aventure personnelle mais d’une initiative au service du bloc central. Objectif, retrouver les suffrages de la France populaire : "Seuls 6 % des ouvriers et des employés ont voté pour nous aux européennes, a déclaré Gérald Darmanin. Or, on ne peut pas faire de la politique sans le peuple […] Nous ne pouvons pas laisser la France populaire nous ignorer." Mais l’élu est roué et n’a pas décroché le surnom de "Darmalin" sans raison. Ses rivaux savent bien qu’il a un agenda personnel en tête. Leur présence à Tourcoing était probablement plus liée à une envie de le surveiller que de se ranger derrière lui…
À droite, Ciotti plagie de Gaulle…
La droite française se démarque par le culte du chef. Mais, depuis Nicolas Sarkozy, elle n’a plus de dirigeant capable de l’unir et de la faire gagner. Ce qui donne lieu à de nombreuses initiatives personnelles. Les dernières en date ? L’UDR et Identité et Libertés.
Pour les bons connaisseurs de la vie politique, l’UDR était le premier nom du parti gaulliste. Chantre de l’alliance entre la droite et le RN, Éric Ciotti a repris le sigle qui signifie désormais Union des droites pour la République. Par rapport aux autres partis nouvellement créés, l’UDR est le plus structuré. Lancé officiellement lors d’un meeting tenu dans l’arrière-pays niçois le 31 août, les troupes ciottistes ont un groupe parlementaire de 16 députés, un organigramme complet, des soutiens venus de toute la droite dont celui du magistrat Charles Prats, ancien candidat RN aux dernières législatives. Force est de constater que l’initiative attire des militants : "Nous sommes actuellement 12 000 et nous piochons dans les forces vives de la droite, se réjouit dans Décideurs Charles Alloncle, député UDR de l’Hérault. À titre de comparaison, le mouvement d’Emmanuel Macron en compte 8 500 selon Le Figaro et LR 25 000 avant la dissolution."
Sur le volet idéologique, Éric Ciotti décrit l’UDR de la manière suivante : "Trois piliers : la liberté pour sortir du socialisme, l’identité pour conserver ce que nous sommes et l’autorité sans laquelle rien n’est possible."
Et Marion Maréchal copie Ciotti
Une ligne qui risque d’entrer en concurrence frontale avec Identité et Libertés, officiellement présenté dans Le Figaro du 8 octobre par Marion Maréchal qui prend son indépendance. Credo de ce nouveau venu ? "Protéger la liberté d’expression, la liberté de conscience, les libertés économiques et la liberté scolaire." Une ligne libérale-conservatrice proche d’Éric Ciotti.
Dans son aventure, la nièce de Marine Le Pen embarque une bonne partie des dirigeants Reconquête!, laissant Éric Zemmour plus isolé que jamais. L’ancien candidat à la présidentielle en prend pour son grade puisque Marion Maréchal fustige sa "posture" décrite comme "contreproductive pour le pays". Parmi ses troupes, elle peut notamment compter sur trois eurodéputés : Nicolas Bay, Laurence Trochu et Guillaume Peltier. Pour les amateurs de records, signalons que Guillaume Peltier est le responsable politique en activité qui a le plus changé d’étiquettes : Front national de Jean-Marie Le Pen, MNR de Bruno Mégret, MPF de Philippe de Villiers, Reconquête! Rien de surprenant de le voir embarqué dans la création des nombreux nouveaux partis de la collection "automne-été 2024".
Lucas Jakubowicz